Quand Je Crains de Cesser d’Être

John Keats

Quand je crains de cesser d’être
Avant que ma plume ait glané mon fertile cerveau,
Avant qu’une pile élevée de livres, dans leurs caractères imprimés,
Renferme, comme de pleins greniers, une moisson bien mûre ;

Quand j’étudie sur la face étoilée de la nuit,
Les vastes symboles nuageux d’un haut poème,
Et sens que je ne vivrai jamais pour retracer
Leurs ombres, avec la main magique de la chance ;

Et quand je sens, exquise créature d’une heure !
Que je ne te verrai jamais plus devant moi,
Que je ne savourerai plus l’enchanteur pouvoir
De l’inconscient amour ! alors sur la grève

Du vaste monde, je me tiens seul, et je médite,
Jusqu’à ce qu’Amour et Gloire plongent dans le néant.

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When I have fears that I may cease to be
Before my pen has glean’d my teeming brain,
Before high pilèd books, in charactry,
Hold like rich garners the full-ripen’d grain;

When I behold, upon the night’s starr’d face,
Huge cloudy symbols of a high romance,
And think that I may never live to trace
Their shadows, with the magic hand of chance;

And when I feel, fair creature of an hour!
That I shall never look upon thee more,
Never have relish in the faery power
Of unreflecting love;—then on the shore

Of the wide world I stand alone, and think
Till love and fame to nothingness do sink.

John Keats, Letters and Literary Remains of John Keats (1848), 1818.
Traduction Gallimard 1910.