À Un Étranger

Walt Whitman

Étranger qui passes ! Tu ne sais pas avec quel désir ardent je te regarde,
Tu dois être sûrement celui que je cherchais ou celle que je cherchais (cela me revient comme le souvenir d’un rêve),
J’ai sûrement vécu une vie de joie quelque part avec toi,
Tout s’évoque au moment où nous passons rapidement l’un près de l’autre, fluides, affectueux, chastes, mûrs.
Tu as grandi avec moi, tu as été un garçon ou une fillette avec moi.
J’ai mangé et j’ai dormi avec toi, ton corps a cessé d’être uniquement ta chose et n’a pas permis au mien d’être uniquement ma chose.
Et tu me donnes le plaisir de tes yeux, de ton visage, de ta chair, lorsque nous nous croisons, et tu prends en échange celui de ma barbe, de ma poitrine, de mes mains.
Je ne te parlerai pas, je penserai à toi quand je serai seul ou quand je m’éveillerai seul la nuit,
J’attendrai, je ne doute pas que nous nous rencontrerons une autre fois.
Je prendrai garde à ne pas te perdre.

Walt Whitman, Poèmes (traduction par Léon Bazalgette), 1891.